Oui, il est possible de complémenter ses vaches en protéines françaises, garanties sans OGM. Des traitements thermiques améliorent la valeur nutritionnelle des graines protéagineuses et les rendent aussi intéressantes que du tourteau de soja. Reste à relancer leurs cultures dans l'hexagone.

Les protéagineux peuvent permettre de réduire, voire supprimer totalement la dépendance au soja.Les protéagineux peuvent permettre de réduire, voire supprimer totalement, la dépendance au soja. (©Terre-net Média)

Face aux controverses sur les importations de soja, une question revient souvent : « Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à produire suffisamment de protéines végétales, alors que féverole, lupin, lin et pois sont cultivables en France ? »

Les protéagineux : une valeur nutritionnelle inférieure au soja

Le soja a l’avantage d’être riche en protéines facilement digestibles, tandis que les protéagineux cultivés en France (féverole, lupin, lin, pois...) contiennent des protéines très dégradables dans le rumen. « Les matières azotées totales des graines protéagineuses crues sont inférieures à celles du tourteau de soja, rappelle Solveig Mendowski, de l’Inra Auvergne-Rhône-Alpes. Les protéagineux ont donc une moins bonne valeur nutritionnelle. »

Cuire les graines afin de protéger les protéines mais pas trop pour qu'elles restent digestibles.

Des traitements thermiques permettent de protéger ces protéines d’une trop forte dégradation dans le rumen et de favoriser leur digestion dans l’intestin. Encore faut-il trouver la bonne température. « Il y a une meilleure valorisation de la ration, avec 2 kg de lait de plus, pour des protéagineux cuits à 140°C plutôt qu’à 160°C », a constaté Solveig Mendowski, lors de ses travaux de thèse. « À trop haute température, il y a une surprotection des protéines, qui pénalisent leur digestibilité. »

En ferme, il n’y a pas eu de différence zootechnique entre du tourteau de soja et un lupin cuit à 140°C. La féverole, elle aussi cuite à 140°C, a même permis un gain de 1,8 kg de lait par jour. Les chercheurs ont également testé différents traitements avant cuisson. L’addition d’un cocktail enzymatique s’est révélé le plus bénéfique à la digestibilité.

Du tourteau de soja remplacé par de la féverole pour une meilleure performance technique et économique.L’entreprise d’extrusion Valorex met en avant des essais dans lesquels des vaches hautes productrices ont reçu une ration où le tourteau de soja a été remplacé par de la féverole pour un coût équivalent. Cette ration aux protéines 100 % françaises a permis + 0,67 kg de lait par jour. Malgré une légère baisse du TB, la recette laitière a été augmentée. « C’est donc techniquement et économiquement possible de complémenter des vaches uniquement avec des protéines françaises » affirme Guillaume Chesneau, directeur recherches et développement chez Valorex.

Relancer la production de protéagineux

Pour améliorer la digestibilité des protéines, la technologie apporte une partie de la réponse. Une autre viendra de la sélection variétale, en mettant l’accent sur le taux et la digestibilité des protéines. Il faut également jouer sur la diversité des protéagineux pour augmenter la production et équilibrer les rations.

Autre intérêt de ces protéagineux : leur profil d’acides gras et leurs effets "secondaires" bénéfiques. Par exemple, le lin est reconnu pour ses bénéfices sur la santé et la reproduction. « Avec une ration contenant des graines de lin, l’IA fécondante a lieu de 4 à 7 jours plus tôt, chiffre Nathalie Bareille, épidémiologiste à Oniris. Nous pensons que les phyto-oestrogènes naturellement présents dans le lin permettent une meilleure expression des chaleurs ». Ces bénéfices du lin semblent être transgénérationnels : les génisses, dont les mères ont absorbé de la graine de lin pendant leur gestation, ont tendance à vêler plus tôt.

Si les protéagineux s’intègrent bien dans les rotations et ont des intérêts agronomiques, la variabilité de leur prix freine souvent leur implantation. Pour assurer leurs approvisionnements, certaines entreprises proposent des contrats pluriannuels avec des prix stables.

Comme le tourteau de soja garde des avantages, il est aussi intéressant d’en développer la culture en France. Sa production augmente d’ailleurs de 10 % par an. Ses besoins en eau et en chaleur limitent encore son développement, en attendant de nouvelles variétés ultra-précoce. Pour l’instant, son coût de revient destine l’essentiel du soja français à l’alimentation humaine.

« Oui on peut se passer de tourteaux de soja et à un niveau économiquement acceptable, martèle Nathalie Kerhoas, directrice de Bleu Blanc Cœur. En plus c’est bénéfique pour la santé du consommateur et l’environnement ». Reste à relancer et accompagner la culture des protéagineux. Les filières se mobilisent pour développer ces cultures, à même de fournir localement des protéines, intéressantes techniquement et à un prix équivalent au soja. L’enjeu est d’autant plus important que de plus en plus de cahiers des charges exigent une alimentation animale sans OGM.